Gaspard ne se doute pas que ce jour lui réserve autant de surprises... Il a une petite vie bien réglée, un métier qui le ravit. Bien sûr, il y a cette histoire de vigiles qui menace de tout enrayer... mais il a confiance. Aucune raison pour que sa bonne étoile l’abandonne.
Il s’agit donc de l’histoire d’un type qui progressivement tombe du dernier étage d’un immeuble en pensant que jusque là tout va bien...
Yvette Bentz
Edition : Le Trouve Feuille, avril 2019
Genre : roman
ISBN : 979-10-359-0685-6
public : tout public
Format : 13X18cm,
Nombre de pages : 182
livre version papier : 9,50€
livre version numérique : nc
extrait
Gaspard était essoufflé : il s’était pressé pour se rendre dans la salle de réunion. Il ne supportait pas l’idée d’arriver en retard, il avait besoin de temps pour prendre ses marques, pour s’installer, s’approprier les lieux surtout, comme aujourd’hui, avant de passer sur le grill. Il constata avec soulagement qu’il n’était pas le dernier à s’installer. D’un simple coup d’œil, il repéra le représentant du personnel, les responsables des divers services, et un avocat de la boîte. Le patron et ses acolytes avaient du retard. C’était une réunion informelle et comme le grand chef l’avait souhaité, toutes les personnes concernées y avaient été conviées. Il avait précisé, mot pour mot : « il faut désamorcer toute cette histoire avant qu’elle ne nous pète à la figure. Un DRH, c’est fait pour ça, n’est-ce pas ? » Le ton était badin mais Gaspard avait saisi le sous-entendu menaçant. Son avenir au sein de l’entreprise était en jeu.
Ils étaient assis autour de la grande table. Tous évitaient d’échanger le moindre regard. Les Pieds Nickelés, comme Gaspard appelait les trois patrons de la boîte, se faisaient attendre. Il avait posé devant lui, sur la table, son dossier qui lui parut bien mince tout à coup : un simple compte rendu de la situation, sans fioriture ni parti pris mais honnête. Il l’avait saisi, reposé sans l’ouvrir, les mains moites. A quoi bon ? Il savait ce qu’il contenait puisqu’il l’avait rédigé et de toute façon, il était trop tard pour y changer quoique ce soit. Les autres, habitués à ce traitement minimum de l’information, attendaient la suite des évènements pour en savoir davantage.
Il crut déceler un sourire ironique sur les lèvres de certains. Il détestait être mis sur la sellette. Il se retrouvait dans une situation identique à celles qu’il avait connues lors de sa scolarité quand il préparait avec soin les textes sur lesquels il allait être interrogé. Il imaginait toutes sortes de questions qui pouvaient lui être posées. Elles n’étaient jamais aussi tordues que celles qui lui tombaient dessus. Parfois il doutait même d’avoir travaillé les bons textes !
Il avait pensé qu’un conflit dans une équipe de vigiles, ce n’était pas la mer à boire. Mais son échelle de valeurs n’avait rien à voir avec celle de la direction qui semblait avoir trouvé là une affaire emblématique de sa capacité à gérer un conflit atypique. L’enjeu était de taille, l’image de la boîte en dépendait. Il avait pris un peu d’avance en entendant les « plaignants » puis l’« accusé ». Son compte rendu tenait en une page A4, une seule face. Le constat avait été simple à établir : les horaires avaient toujours été respectés, le travail fait, avec une assiduité remarquable. Les vigiles continuaient à se plaindre de leur collègue, menaçant de ne plus travailler en équipe si cette situation se prolongeait. Il avait décrypté leurs griefs, compris ce qui les agitait sans trouver de solution.
DRH ! Gaspard avait postulé pour ce poste parce qu’il était prêt à prendre n’importe quel emploi. Il était encore tout étonné de l’avoir décroché. Et dans une entreprise de cette envergure ! Il avait eu une chance inouïe. Il se demandait encore sur quels critères il avait été retenu. Il avait envoyé sa candidature un peu au hasard. Il avait posté des tas de courriers pour des fonctions dont il ignorait tout, comme un joueur misant sur des cartes susceptibles de lui tomber entre les mains. Il avait raconté le plaisir qu’il avait pris à faire ses études de mathématiques. Ses yeux brillaient à l’évocation de cette période. Il avait passé un CAPES : il voulait gagner sa vie en enseignant sa matière préférée. Il s’était lancé dans le métier avec enthousiasme, persuadé qu’il parviendrait à intéresser des adolescents. La chute fut d’autant plus brutale que l’envie avait été forte. Il passait son temps à régler des problèmes de discipline, des conflits, des malheurs qui le dépassaient. Quelques élèves montraient de l’intérêt mais leur niveau était si loin de ce qui était attendu, qu’il ne savait pas jusqu’où remonter pour les aider à combler ce gouffre. Il passait un temps fou à plancher sur chaque cours, à chercher des stratagèmes qu’il dénichait sur divers sites d’internet. Pour un cours, trois heures à concocter son approche. Tout s’écroulait dès les premières minutes pour une histoire de casquette, pour un regard mal interprété, une sanction vécue comme une injustice…. Il n’était pas allé au bout de l’année de stage, celle qui aurait dû valider sa réussite au concours...