Christine Trova                              Foça

                                              de la même autrice :                                                                                               

album jeunesse : Qu'est-ce que c'est - Le perroquet

art visuels : modelages ; dessins ; portraits ; fresques ; Illustrations ; peintures

Le commissaire Occhipinti enquête sur le meurtre d’un adolescent quand on lui signale la disparition d’un jeune enfant. Ces deux affaires sont-elles liées ? Plongent-elles leurs racines dans un passé très lointain ? Un passé avec lequel deux familles auraient renoué par hasard ?

L’une de ces familles est originaire de Foça. Eski Foça veut dire « ancienne Phocée » en turc. C’est une petite station balnéaire sur la côte égéenne. C’est la mère de Marseille.


Christine Trova

Edition : Le Trouve Feuille, juil 2021

Genre : roman

ISBN : 979-10-227-4571-0

public : tout public

Format : 13X18cm,

Nombre de pages : 350

livre version papier : 11,50€

livre version numérique : nc

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extrait

Chapitre 1

Encore un embouteillage. Jules mit au point mort, et défit l’emballage d’un chewing-gum. Devant lui, les voitures cuisaient doucement sous un soleil d’enfer, comme de gros scarabées à la queue leu leu. Derrière, idem. Un cycliste arriva en sens inverse, louvoyant entre les pare-chocs. Jules se pencha à la portière.

– Hé ! Qu’est ce qui se passe ?

– Un gosse. Il a été renversé.

– C’est grave ?

– Ouais. Il est mort.

Jules hocha la tête. Il comprit mieux le silence insolite des automobilistes. La cohorte de véhicules prenait des allures de procession improvisée. Des piétons s’attroupaient, commentaient l’événement, se retournaient souvent pour observer les clignotants du fourgon des pompiers ou de la voiture de police, et une foule de plus en plus dense s’amassait à la hauteur de l’ancienne capitainerie. Des agents arrivaient, sifflet à la bouche, gesticulant pour diriger les voitures, qui commençaient à rebrousser chemin. L’un d’eux s’adressa à Jules.

– Faut faire demi-tour, monsieur.

– Mais je vais au Panier.

– Alors garez vous, si vous pouvez, mais ne restez pas là, faut dégager la rue.

Par chance il vit une place, juste à côté. Lorsqu’il referma la portière, après avoir sué pour ranger son antique Peugeot 305 dans un parallélisme approximatif le long du  trottoir, le soleil le cogna brutalement aux épaules et à la nuque. Il se précipita à l’ombre des galeries, sa peau de roux n’offrant aucune protection face aux assauts des rayons meurtriers.

Il allait être en retard à son rendez-vous. Il tenait à cette animation d’atelier théâtre avec ces gosses, difficiles peut être, mais plus vivants que d’autres. En milieu hostile, la vie entre en résistance. Il avait déjà animé des ateliers dans les écoles du quartier, il connaissait bien ces enfants, il savait comment leur parler. Son aptitude à mener une bande de copains remontait depuis l’enfance et faisait à nouveau merveille. Il s’amusait, mais il aimait ce travail aussi pour ce qu’il pouvait apporter à ces enfants eux mêmes, une ouverture, une voie inespérée dans un univers pas vraiment rose.

Il avait du mal à avancer, un homme le bouscula involontairement, des voix commençaient à s’élever, plus loin, il entendit des cris, la foule, toujours plus dense, le poussait inexorablement vers le lieu de l’accident. Jules n’avait aucun goût pour le spectacle de la mort, il voulait s’échapper, prendre une autre rue, mais trop de corps faisaient obstacle, il tenta bien quelques : « Laissez moi passer, s’il vous plaît... » En pure perte. Il se retrouva devant un flic exaspéré, dégoulinant de sueur, qui hurlait « Circulez ! Circulez ! Ne bloquez pas le passage ! » Il eut le temps d’entrevoir  un corps enroulé dans une couverture de survie. Des hommes plantés là, discutaient entre eux, des policiers peut-être ? Il entendait d’autres sirènes au loin. Des pompiers contenaient un groupe de femmes au bord de l’hystérie. Il vit en une fraction de seconde, la main qui dépassait de la couverture et sur laquelle s'étalait un de ces tatouages temporaires, d'un noir de jais : une tête démoniaque, une sorte de gorgone. Jules ressentit comme un coup à l’estomac, le mort n’était plus anonyme. Il l’avait rencontré la veille, quand il était venu chez l’instituteur avec qui il devait travailler, monsieur Ségura, pour une première visite. Un garçon de treize ou quatorze ans tout au plus, un grand sourire, des yeux noirs, très vifs, avec des gestes rapides. Grande gueule, mais sympa. Il était avec un groupe d’ados en bas de la maison de l’instit.

– Vous cherchez Monsieur Ségura ? C’est au troisième. Faut allumer là, à droite. Sinon, vous allez vous viander, les marches sont pourries. Il l’avait aidé à trouver l’interrupteur, et Jules avait remarqué le dessin sur la main.

– C’est un emblème ?

– Ouais, m’sieur ! On est tous des aliens ! Vous avez pas vu la tête qu’on a ?

Les autres s’esclaffèrent un peu trop fort. Il ignora le côté provocateur et monta les escaliers. Lorsqu’il était ressorti, une heure plus tard, la bande d’ados n’y était plus. A présent, ce jeune était mort.

– Qu’est ce qui s’est passé ? demanda-t-il à une femme opulente qui commentait, mains sur le cœur, les transes où la plongeaient – toutes ces horreurs qu’on voit maintenant, qu’on sait même plus où se tourner, si c’est pas un malheur, un jeune comme ça, mort pour rien, à cause d’un connard, passez moi l’expression ! Eh bien, c’est comme ça qu’on meurt, maintenant, un motard vous renverse, vous tue, et s’en va ni vu ni connu, voilà ! Une mort de chien ! Même pas ! Des fois, y en a qui s’arrêtent pour un chien !

– Il a été renversé ?

– C’est ça ! Renversé ! Il lui a même un peu foncé dessus, si vous voyez ce que je veux dire… Un vrai fou, je vous dis ! Il est monté sur le trottoir ! Peut être qu’il avait fauché la moto, et qu’il savait pas la conduire.

Lorsqu’il réussit à s’échapper de la foule, Jules courut pour monter au Panier. En bas, l'urgentiste des premiers secours répondait aux questions du capitaine Ange Occhipinti.

– Le garçon est mort dans sa chute. Sa tête a heurté violemment le trottoir. Mais il n’y a pas que ça. Venez voir capitaine.

Ange Occhipinti avait suivi le médecin vers la forme allongée au bord du trottoir, enveloppée d’une couverture de survie étincelante sous le soleil. Les gens se massaient derrière les barrières, tournant le dos à la mer qui clapotait le long des quais. Le médecin s’accroupit, souleva la couverture, s’arrangeant pour que les jeunes, qui se bousculaient pour observer, en voient le moins possible. Les yeux du garçon étaient encore ouverts, le gauche portait un coquard. Des traces rougeâtres zébraient les joues, le nez était tuméfié. Il avait saigné, et le saignement avait été essuyé. Sans un mot, le médecin lui montrait divers endroits du corps où des marques de coups étaient apparentes.

– Le choc à la tête a sans doute été fatal, dit -il en rabattant la couverture, mais il a passé un sale quart d’heure avant